Ce soir, j’ai dîné à l’œil. Et avec un (quasi) parfait inconnu (comme quoi il est bon de mordre à l’hameçon de temps en temps). Une expérience aussi enrichissante que déstabilisante. Non pas à cause du facteur « inconnu », mais à cause de son caractère, à cet inconnu-là…
Il y a un peu plus d’une semaine, je rentrais chez moi en tirant ma valise de déménageur, mon sac à main sous le bras, à cause d’une anse cassée (il appartenait à ma grand-mère, d’où son état plus que vintage), et mon parapluie à la main. Difficile donc, de m’en sortir seule ; j’aurais été stupide de refuser l’aide que ce gentilhomme me proposait. Quelques minutes plus tard, j’étais chez moi avec une carte de visite et un « envoyez-moi votre CV » résonnant dans ma tête. Quelle chance ! A peine ai-je le temps d’être officiellement déclarée « demandeuse d’emploi », qu’on m’en propose un !
Mon CV envoyé et un entretien honoré plus tard (10 minutes top chrono), arrive ce fameux soir au resto. Excellent, au passage, tout près de ma rue, et pourtant je ne l’avais jamais remarqué (mais étant donné les prix pratiqués, à quoi bon ?). J’arrive un tout petit peu en avance, Monsieur a « réservé une table, comme toujours » (ça promet !), je commande de l’eau plate et j’attends.« Toc, toc » : à la fenêtre, mon inconnu de la semaine - ok, je connais son nom maintenant, mais cultivons le mystère. Une fois assis, un interrogatoire commence : t’as des frères et sœurs ? que font tes parents ? t’es catho ? quels sont tes rêves ? es-tu amoureuse ? depuis combien de temps ? beaucoup de « galipettes » avec ton copain ? - ça c’est dit ! Il a (peut-être l’ai-je un peu influencé) rapidement dévié sur les histoires d’amour. Et pas n’importe lesquelles, les miennes.
A l’origine, j’étais censée lire ses essais sur la prolifération de la paranoïa, de l’insincérité et des hommes sur la Terre, pour que l’on en discute ce soir-là (il me proposait un emploi de documentaliste sur le quatrième volet de son œuvre, why not ?). Et comme j’avais en tête un passage qui parlait des relations de couple, je l’ai lancé là-dessus… sans m’imaginer une seconde qu’il allait vouloir tout connaître de ma propre expérience ! C’est comme ça que c’est parti en vrille : j’en ai dit plus à un inconnu en 1h qu’à ma meilleure amie en quelques années ! Et ça n’est pas le vin qui m’a fait parlé, c’est lui. Sa manière de poser des questions indiscrètes semblait si naturelle qu’y répondre était la seule voie possible.
J’hésite à présent quant à ses intentions : s’intéressait-il à ma façon de vivre pour savoir si j’avais les mêmes convictions que lui (ça avait l’air de lui tenir à cœur) et envisager ainsi de m’engager pour son bouquin, ou était-ce un quelconque moyen de drague ? Parce qu’il faut savoir que Monsieur est un peu provocateur sur les bords, et je me demande s’il n’a pas tout simplement essayé de me déstabiliser pour connaître les limites de ma résistance, ou de ma naïveté, au choix (il m’a quand même dit que si j’avais accepté son invitation, c’était que j’avais une idée en tête, ou alors que j’étais carrément naïve – bah mon idée, c’est de travailler monsieur !). Le dîner se termine sur un autre sujet. Et moi qui était convaincue que j’allais repartir avec un beau contrat de travail… A présent la décision m’appartient et elle est difficile… il aura réussi son coup !
J’ai sorti de ma bibliothèque « L’art de la guerre » et les « Mémoires d’Hadrien », mais j’ignore si me remettre à la philo va résoudre mondilemme ; j’ai besoin de travailler, j’aime ce qui touche à l’intellect et à la littérature, mais les propos de mon inconnu sont empreints d’un tel cynisme… j’ai peur de tomber en dépression en faisant des recherches pour son « Petit manuel de survie par temps apocalyptique ». Enfin, voyons le côté positif des choses, j'aurais quand même gagné quatre livres et un dîner dans un resto chic!